Fusion-Acquisition : D-EDGE, au-delà des ambitions initiales
5 min
Retour d'expé
15.2.2023
5 min
Marie Dudicourt

Fusion-Acquisition : D-EDGE, au-delà des ambitions initiales

“Une fois la confiance établie auprès d’Accor. S’est posé la question de savoir comment mieux valoriser notre expertise au sein du groupe”. En confiant la plateforme de gestion de ses réservations à sa filiale D-EDGE, Accor réussit une modernisation éclair de son Système d’Information.

Accor fait l’acquisition de Fastbooking en 2015 puis d’Availpro en 2017. En fusionnant ces deux concurrents pour créer D-EDGE deux ans plus tard, le projet donnera naissance au leader européen de solutions de distributions pour l’hôtellerie, et plus encore...

La fusion-acquisition pourrait un jour concerner n’importe quel.le entrepreneur.e et salarié.e de startup puisque 80% des startups sont destinées à l’acquisition par un grand groupe1 une fois qu’elles ont passé la “vallée de la mort”, post série B. Mais le marché de l’acquisition et, plus largement, du Corporate Venture Capital2 (CVC) est encore jeune et pas toujours compris par les équipes. En effet, les stratégies des grands groupes sont souvent opaques et les protagonistes reconnaissent avoir commis des erreurs lors de leurs premières expériences. Un fossé culturel reste à combler entre grand groupe et startup.

eigerX se penche sur cette problématique à travers une série d’interviews auprès des équipes de grands groupes, entrepreneurs et ingénieurs qui vivent ces transformations capitalistiques et organisationnelles de l’intérieur.

Pour revenir sur la trajectoire fulgurante de D-EDGE, je vous propose une interview croisée d’Antoine Buhl, CTO de D-EDGE et de Constance Maillard de la Morandais, Head of New Business Accor.

Antoine a vécu la transformation de l’intérieur. Des prémices d’Availpro qu’il a rejoint en 2008, au rachat par Accor, puis à la fusion post-acquisition. Il gère aujourd’hui l’équipe tech de D-EDGE composée de 300 personnes.

Constance a œuvré à la réussite de ce projet commun côté Accor, dans l’équipe New Business. Une équipe singulière dans le paysage des grands groupes puisqu’elle présente un modèle hybride, combinant partenariats, prise de participations minoritaires et acquisitions. Le groupe adapte la gouvernance et le plan de croissance en fonction de chaque situation. Le portefeuille de participations majoritaires est aujourd’hui rentable et compte une dizaine d’entreprises.

Accor est le premier groupe hôtelier en Europe et le sixième à l’échelle mondiale. Un chiffre d’affaires de 2,2 milliards d’euros, 350 000 employés en 2021, post crise coronavirus.

D-EDGE aide + de 17,000 hôtels dans 150 pays à développer leur visibilité et leurs ventes en ligne à travers une gamme de solutions SaaS et marketing digital. C’est une filiale du groupe Accor.

Que était le contexte et la stratégie d’Accor en 2017  pour cette acquisition ?

Constance : l’équipe New Business s’est lancée dès 2015, le marché de l’hôtellerie était alors en pleine transformation. L’arrivée de Booking.com sur le marché réduisait les marges des hôteliers et Airbnb récupérait un nombre grandissant de parts de marché. L’objectif d’Accor était de trouver de nouveaux relais de croissance en se positionnant sur des marchés adjacents et sur des nouveaux modèles économiques.

La gestion de réservation pour les chaînes hôtelières et hôtels indépendants présentait un potentiel intéressant car elle permet aux hôteliers de reprendre la main sur leur distribution. Les deux entreprises, Availpro et Fastbooking, présentaient des complémentarités évidentes.

Fastbooking se positionnait sur la distribution directe, auprès des hôteliers, tandis qu’Availpro commerçialisait son offre auprès des agences de voyages en ligne (Opodo, Expedia, etc.). L’un était en Asie, l’autre en Europe…

“L’ambition était claire dès le départ : fusionner les deux concurrents pour faire émerger un acteur de référence sur les solutions de réservation de l’hôtellerie.”

Quel était le contexte d’Availpro au moment du rachat ?

Antoine : en 2017, nous étions 120, la solution était distribuée à 6000 hôtels en Europe, soit un chiffre d’affaires de 12 millions d’euros. Elle était rentable et présentait une belle courbe de croissance, autour de 30% par an. Ce qui faisait d’Availpro un acteur sérieux.

L’entreprise avait 10 ans d'existence et ses fondateurs, Philippe Lamarche et Sébastien Boher, arrivaient à une étape charnière, lever à nouveau ou envisager la sortie. Il y avait plusieurs propositions et celle d’Accor était la plus intéressante.

“C’était un peu la consécration pour nous à l’époque, intéresser un leader comme Accor !”

Ils ont négocié leur sortie et Pierre-Charles Grob, CEO de Fastbooking a pris les rênes des deux entreprises, j’ai repris les équipes techniques.

Qu’est ce qui a fait la réussite de cette fusion ?

Antoine : A postériori j’identifie plusieurs raisons. Premièrement, l’ambition était claire et partagée par le top management. Dès la négociation d’achat on a eu des discussions ouvertes avec l’équipe New Business et Sébastien Bazin. Accor finançait l’ambition.

On s’était aussi accordés dès le départ sur la manière de vivre au sein du groupe : Availpro allait fusionner avec Fastbooking pour devenir une filiale indépendante.

“Accor nous a laissé gérer la fusion en toute autonomie.”

Ensuite, ça a été une question de personne, et là on a eu beaucoup de chance 🙂 Il fallait construire une équipe de management qui partage une culture et une vision commune tout en ayant suffisamment d’historique sur chaque entreprise. Mon binôme avec Pierre-Charles a super bien marché.

Enfin les fondateurs historiques ont pris le temps de transmettre le flambeau. Un an et demi plus tard, début 2019, D-EDGE est né.

2020, l'hôtellerie est frappée de plein fouet par la crise du Coronavirus, puis vous engagez un nouveau projet commun avec Accor : reprendre la gestion de la plateforme de distribution d’Accor, le cœur de métier de D-EDGE.

Comment avez-vous défini ce projet commun ?

Antoine : D-EDGE avait traversé la crise et repris sa courbe de croissance, je pense qu’on avait atteint un certain niveau de confiance auprès d’Accor. S’est posé la question de savoir comment mieux valoriser notre expertise au sein du groupe.  

Constance : il y a eu des discussions et un alignement au plus haut niveau. La décision a été prise de confier le futur de la plateforme de distribution Accor à D-EDGE.

En 2022, tout l’asset technologique de la plateforme de distribution d’Accor a basculé dans sa filiale. 100 personnes de la DSI ont rejoint D-EDGE et on a recruté 100 personnes supplémentaires pour mener à bien le nouveau projet.

“La gestion de la plateforme de distribution Accor représente aujourd’hui un tiers de l’activité de D-EDGE.”

Comment avez-vous réussi à aligner les équipes ?

Constance : il y a eu un gros travail de communication auprès du top management puis des équipes opérationnelles concernées de près ou de loin par cette transformation. On a passé beaucoup de temps à expliquer le travail de D-EDGE.

Antoine : on a fait des équipes mixtes Accor et D-EDGE tout de suite, les développeurs ont tout de suite travaillé ensemble.

Quelles difficultés avez-vous rencontré ?

Antoine : la différence d’échelle entre la startup et le grand groupe est notable ! Dans le grand groupe, il y a beaucoup de monde sur un projet, là où côté startup il n’y a souvent qu’une personne. Cette différence d’échelle a entraîné une sur-sollicitation de nos équipes qu’on a dû réguler. Être proactif dans notre communication et définir des relais bien identifiés côté grand groupe nous ont permis de régler ce déséquilibre.

Constance : Le plus difficile était lié à la consolidation financière d’activités  aux modèles économiques complètement différents. Une startup peut créer de la valeur tout en consommant du cash. Pour cela on a impliqué la direction financière très en amont pour qu’ils comprennent l’activité de la filiale.

Le choc de culture entre le marché de l’hôtellerie et le marché du SaaS a eu son lot d’anecdotes où nous avons dû apprendre à se comprendre et travailler ensemble 🙂

“Un ARR chez D-EDGE signifie Annual Recurring Revenue, alors que chez Accor, il correspond au Average Room Rate.”

La différence d’échelle de temps entre la startup et le grand groupe n’a pas été une difficulté ?

Antoine : pas vraiment, on est aligné sur l’approche générale depuis le départ. Accor regarde les plans sur le long terme et nous on fonctionne de manière beaucoup plus court-termiste mais nous sommes imbriqués dans ce plan.

5 ans plus tard, en quoi votre collaboration est-elle un succès ?

Antoine : les moyens et la distribution de la plateforme d’Accor nous amène sur une nouvelle trajectoire de scale-up. D-EDGE devient le 3e acteur mondial de la distribution de solutions hôtelières. Nos concurrents sont aujourd’hui Amadeus et Sabre hospitality, des poids lourds !

Constance : en plus de l’intérêt capitalistique, Accor a enrichi sa valeur ajoutée en se positionnant sur ce marché adjacent, notamment à travers le partage d’expertises, facilité par le transfert de talents entre Accor et ses filiales. D-EDGE a permis d’améliorer la qualité de service de la plateforme Accor et leur expertise des connectivités nous permet d’aller plus vite dans l'intégration des acquisitions hôtelières en facilitant l’intégration des systèmes.

1 https://www.avoltapartners.com/vc-ma-tech-trends-france-2022/ 60 à 90% des startups meurent sans aller jusqu’à la sortie.
2 CVC : On dénombre 40 CVC français, dont la plupart ont émergé au cours des 10 dernières années.  Acteur moins connu que son acolyte indépendant le Venture Capital. C’est quand un grand groupe investit dans une startup de manière minoritaire ou majoritaire avec des objectifs financiers ET stratégiques. Le CVC représente désormais 30% du capital risque français. Rapport BCG x Raise Lab sur le CVC sorti en juin 2022

Lancé en septembre 2022, eigerX est un média pragmatique qui met Tech et Business sur la même longueur d'onde 📻 !

Ingénieurs, entrepreneurs et investisseurs se croisent pour partager leurs opinions et retours d'expériences.

eigerX accompagne les équipes tech en hyper-croissance grâce à un collectif de CTO issus de la plus belle scène Tech française.