


Marion Ghibaudo, vocation CTO de MedTech
“Si je fais le bilan aujourd’hui, dans mon métier il y a de la génétique, de la biologie et de la physique… Les choses se recoupent ! Ce sont les domaines dans lesquels j’ai toujours voulu travailler.”
A ces trois domaines, ajoutez l'ingénierie et vous pourrez commencer à imaginer le métier de Marion, CTO Medical Device de GenSight Biologics. Comment vient-on à cette vocation ? A quoi ressemble le quotidien d’une leader d’équipe technique de MedTech ?

Est-ce que tu peux me décrire le début de ton parcours et comment tu es tombé dans la marmite de la biophysique ?
C’est un peu cliché mais j’ai toujours voulu faire de la recherche. Petite, j’ai d’abord voulu être archéologue puis astrophysicienne puis généticienne. J’étais une enfant très curieuse, qui amenait mes parents à la limite de l’épuisement par mes questions… Ce qui m’intéressait c’était d’explorer la matière, le tout petit et le très grand !
Ce qui a marqué mon enfance, c’est l’émission Il était une fois… la vie, les Jules Verne, et surtout mon idole absolu, Hubert Reeves... Plus tard, j'ai découvert Marie Curie, le seul modèle féminin scientifique visible dans les années 80 - 90. J’étais une grande rêveuse, j’adorais lire et m’évader dans la littérature.
Mon premier choc émotionnel a été en 3e quand j’ai découvert la génétique, je me suis dis que je voulais travailler là dedans.
Choc émotionnel ?! Tu as eu d’autres chocs émotionnels qui ont fait naître cette vocation de biophysicienne ?
À l’école, j’adorais la physique et la bio, et je ne voulais pas choisir entre les 2 pour mon orientation ! Je ne savais pas qu’il y avait des métiers aux interfaces de la physique et de la biologie, à l’époque il y avait quelques labo dans le domaine mais c’était confidentiel. J’ai fait une prépa physique puis choisi une école, qui me permettait de revenir à la biologie ensuite.
Une ancienne élève, Cécile Sykes, est venue faire une intervention, ça a été le second choc émotionnel : je me suis dis c’est exactement ça que je cherche ! Elle était directrice de recherche au CNRS en biophysique et faisait de la modélisation de mouvement de bactéries avec des microbilles de latex. Je me suis rendue compte qu’on pouvait combiner la physique et la biologie pour répondre à des problématiques clés qui auraient un impact sur la santé.
Ça a été une personne clé dans mon parcours. C’est elle qui m’a parlé du master Physique des Systèmes Biologiques, elle m’a fait découvrir le métier de l’intérieur en me faisant visiter son labo à l’institut Curie. Plus tard, je l'ai choisie dans mon jury de thèse.
Revenons à ton parcours, quel était ton sujet de thèse ?
J’ai joué au fakir avec des cellules. J’étudiais la migration des cellules en fonction de la rigidité de leur environnement, concrètement j’ai posé des cellules sur des plots et passé beaucoup de temps à regarder comment elles se déplaçaient1 :-)

Tu vas me demander à quoi ça sert ? Par exemple, si on veut réparer un cœur où il y a eu un infarctus en injectant des cellules souches, on peut avoir un problème avec le tissu de l’infarctus. S’il est devenu très rigide, les cellules souches injectées ne vont pas le prendre pour du muscle mais de l’os, ce qui va provoquer un rejet. Mieux comprendre l’environnement permet de faire progresser les protocoles.
Cette expérience a été une réussite grâce au tandem que je formais avec Benoît Ladoux, mon maître de thèse. C’est quelqu’un de très humble, à l’écoute et solide scientifiquement. Il est depuis devenu directeur de recherche au CNRS !
Tu parles de ton école sans la nommer, Polytechnique tout de même, où tu as commencé fort puisque tu as fait un de tes premiers stages au MIT, la meilleure université du monde… Tu donnes la part belle à ton directeur de thèse qui a l’air de beaucoup t’impressionner aujourd’hui. Tu as toujours été si modeste ?
Tu n’es pas la première à me dire ça ! J’ai beaucoup de mal avec l’image, ça a été un gros sujet avec mon chef de département chez l’Oréal. Il rigolait beaucoup quand je lui répondais “si on me résume à un concours que j’ai fait à 20 ans, ça me pose beaucoup de questions sur moi-même”.
J’aime bien ne pas le dire pour qu’on ne me colle pas une étiquette tout de suite, il y a pleins de clichés sur les polytechniciens... Je préfère arriver incognito pour que les gens se fassent une opinion sur moi, Marion, sur celle que je suis avant de me coller une étiquette. Ça m'a donné un socle, c’est certain, mais tout ce que j’ai pu accomplir depuis m’a apporté beaucoup d’autres choses.
Après ta thèse, tu ne poursuis finalement pas dans la recherche alors que c’était le métier de tes rêves, pourquoi ?
Je voulais être chercheuse mais pas travailler sur le même sujet toute ma vie, 3 ans de thèse c’était déjà bien ! Je pense que j’étais trop impatiente pour ce métier. De plus, je voulais avoir de l’impact sur la vie des gens de manière plus courte qu’un chercheur académique. Le privé ouvrait cette opportunité, une application concrète de la recherche.
Tu es recrutée par l’Oréal, Est-ce que tu peux me décrire ton arrivée dans le privé et l’application concrète que tu y as trouvé ?
J’ai eu une chance incroyable ! A la fin de ma thèse je me suis demandée qui allait bien vouloir d’une biophysicienne. L’Oréal ouvrait justement un poste d’ingénieur de recherche qui transposait complètement mon travail de thèse à l’application de la peau. L’Oréal avait une équipe de R&D qui travaillait sur la cosmétique instrumentale. On étudiait comment des instruments pouvaient avoir des effets complémentaires à la cosmétique. C’était très conceptuel et extrêmement stimulant, j’ai trouvé ma place tout de suite.
J’ai ensuite évolué au sein de la direction R&D sur des fonctions managériales multidisciplinaires. Ces évolutions ont été assez naturelles même si j’ai dû me battre à quelques reprises pour convaincre de mes capacités. Et une fois dans le job, tu te dis Ohlala mais pourquoi j’ai pris ce job ?! Et en même temps je m’éclate… Mais en même temps c’est super dur !

Tu me disais plus tôt que ce qui avait orienté ton choix vers le privé était l’opportunité d’avoir de l’impact sur la vie des gens. Est-ce qu’on peut dire que le numéro un mondial de la cosmétique a un impact positif sur la vie des gens ?
J’étais concentrée sur les challenges techniques et scientifiques à ce moment de ma vie, nous travaillions dans une émulation collective à révolutionner la cosmétique ! Ce qui marquait une transition frappante avec mon travail quasi solitaire de thésarde…
Pour ce qui est du sens, la cosmétique paraît futile au premier abord mais c’est plus complexe que ça, la pratique est millénaire pour l’être humain, je n’y étais pas sensible au début et l’ai découvert au fil du temps.
Tu pars chez Mauna Kea Technologies2 après 9 ans chez l’Oréal, comment arrives-tu dans la Medtech ?
J'étais totalement prête à partir de chez l’Oréal, je m'étais fixée une "date butoir" de 10 ans. Une période suffisamment longue pour avoir le temps de développer des choses jusqu'au bout, sans prendre le risque de basculer vers du "trop long" vu du côté des recruteurs potentiels.
En parallèle, la MedTech m'intéressait depuis longtemps car aux interfaces de la biologie, physique et ingénierie. C’était encore le challenge scientifique et technique qui m’animait. J’ai cherché à savoir s’ils pouvaient être intéressés par mon profil en contactant des personnes dans de petites structures. La petite structure m’attirait car elle permettait de suivre un projet dans son entièreté, il y avait beaucoup à construire. L'accueil a été très positif, le domaine étant assez jeune, ils avaient peu de profils comme le miens capables de comprendre les enjeux techniques avec une expérience managériale multidisciplinaire.
J’ai rejoint Mauna Kea en tant que directrice R&D, à l’époque l’entreprise était composée d’une centaine de personnes et un quart de l’effectif développait le produit.
L’expérience a été extrêmement formatrice, allier le maintien d’un produit sur le marché et en lancer un nouveau au même moment, avec toutes les dimensions légales et industrielles que ça comporte était un gros challenge.
Tu pars ensuite pour une entreprise encore plus petite, GenSight Biologics dont tu es actuellement CTO Medical Device, qu’est ce qui t’a motivé à bouger ?
GenSight Biologics est une BioTech avec un volet MedTech4 qui développe des thérapies géniques pour des maladies de l’œil.
L’impact positif est ce qui m’a motivé à rejoindre le projet, la rétinite pigmentaire touche chaque année plusieurs dizaines de milliers de personnes en Europe et aux US tandis que la DMLA sèche est la plus grande cause de cécité chez les personnes âgées, ça représente plusieurs centaines de milliers de personnes sur ces mêmes marchés. Ça donne énormément de sens à ce que l’on fait au quotidien. On ne reste pas collé sur nos problématiques techniques, le patient est toujours au centre de nos réflexions.
Concrètement, sur quoi travaillez-vous ? Quels sont les produits que vous développez ?
Aujourd’hui nous travaillons sur deux produits en cours de développement qui ont pour objectif de redonner en partie la vue à ceux qui l’ont perdue :
- La première traite une pathologie rare, la Neuropathie Ophtalmique Héréditaire de Leber, c’est une perte brutale de la vision en l’espace de quelques semaines. Le produit, une thérapie génique, est en cours d’homologation sur le marché européen. On espère une autorisation de mise sur le marché fin 2023.
La deuxième est très très innovante, ça s’appelle l’optogénétique5. Elle traite les pathologies de rétinite pigmentaire et la dégénérescence maculaire liée à l’âge (forme sèche). Ce sont des pathologies cécitantes pour lesquelles il n’y a aucune solution thérapeutique aujourd’hui pour les patients.

A quoi resemble ton quotidien de CTO de MedTech ? Quelles sont ses spécificités ?
Mon quotidien n’est pas très différent d’un quotidien d’un autre CTO de taille de boîte équivalente. Aujourd’hui je manage une équipe de 6 personnes pluridisciplinaires. On fonctionne en mode commando, sans rituel, si ce n’est de débattre de manière énergique régulièrement… L’humain a par ailleurs une grande importance au quotidien, le management comporte pour moi un grand volet de “mise en capacité” afin que chacun puisse donner le meilleur de soi dans son périmètre.
En termes de tâches, j’alterne entre structuration de projet, budget, recrutement, légal… Ce dernier point prend pas mal de place, car le marché est très réglementé. Notre travail est tracé, documenté, toute innovation fait l’objet d’un dépôt de brevet avant d’être rendue publique.
Autre spécificité de GenSight Biologics, bien que l’entreprise soit de petite taille, elle est déjà cotée en bourse. La confidentialité est donc de mise, divulguer des informations internes pourrait avoir un impact sur le cours de l’action en bourse.
Je passe aussi pas mal de temps sur la pédagogie, en interne comme en externe. Expliquer les mécanismes de l’optogénétique, le travail de recherche sur le device, en l'occurrence ici des lunettes... On est sur une première mondiale, il faut prendre le temps de rendre le produit accessible.
Est-ce qu’on peut dire qu’aujourd’hui tu as atteint ta vocation Marion ?
Je préfère la notion d’ikigai ! Cette philosophie japonaise définit la raison d’être comme le croisement de 4 éléments : ce pour quoi on est doué, ce qu’on aime, ce dont le monde a besoin et ce pour quoi on peut être payé.
Je dirais que je suis dans cette zone là. Ce métier fait appel à mes compétences scientifiques et techniques, j’aime le domaine, Gensight Biologics a de l’impact sur la santé des gens et je suis rémunérée pour apporter mon expertise au service des patients ! Je me lève sans problème le matin pour aller bosser. 😊
Sources :
1 Publication de thèse : https://pubs.rsc.org/en/content/articlelanding/2008/sm/b804103b/unauth#
2 Mauna Kea Technologies est une entreprise qui étudie, développe et commercialise des dispositifs médicaux qui détectent des anomalies gastro-intestinales et pulmonaires par endomicroscopie confocale par minisonde.
3 tout comprendre sur les étapes de lancement d’un dispositif médical : https://www.snitem.fr/publications/fiches-et-syntheses/les-etapes-de-developpement-dun-dispositif-medical/
4 différence biotech et medtech : https://www.medtech-bourse.com/quest-ce-quune-medtech/
5 Tout comprendre sur l’optogénétique : https://www.nature.com/articles/d41586-021-01421-0