Mathilde Rigabert, le collectif sinon rien
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5.12.2022
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Mathilde Rigabert

Mathilde Rigabert, le collectif sinon rien

“Le collectif m'a permis de trouver mon équilibre. Et ça c'est vrai dans tous les domaines. De l'éducation des enfants au rôle de CTO dans une boîte en hyper croissance, j’ai toujours fait appel au groupe.”

Une multitude d’asso à son actif, les conférences tech où elle a pu inspirer des centaines de personnes en tant que speaker, Jolimoi (encore une communauté !) dont elle est aujourd’hui CTO… Mathilde a toujours été drivée par le collectif. De caractère timide et introvertie, qu’est-ce qui a bien pu la pousser indubitablement vers le groupe ?

Jolimoi est la plateforme de Social Selling utilisée par 8000 Stylistes Beauté.

Mathilde, peux-tu me décrire comment tu es tombée dans le code ?

J’ai commencé à coder quand j’avais 7 ans. Une asso du 93 faisait coder les mômes du quartier, j’ai énormément accroché... J’y ai traîné mes guêtres pendant 10 ans. Au début, on faisait des dessins en BASIC puis du programme en réseau. Je passais tous mes samedi à faire des LAN Party. Il n’y avait pas internet à l’époque, on mettait les ordinateurs en réseau local, à l’ancienne, et comme ça on pouvait jouer tous ensemble. À 11-12 ans je savais ce que je voulais faire de ma vie, coder !

Et le début de ta vie professionnelle ?  

Je voulais rapidement entrer dans le concret. J’ai choisi une école d’ingé qui proposait beaucoup de stages et mon dernier stage a débouché sur un CDI. C’était une ESN où j’étais en mission chez BNP. Le taf n’était pas hyper intéressant, mais j’étais jeune, tout m’intéressait !

De plus, c’était près de chez moi, j’étais enceinte et je n’avais pas envie de passer ma vie dans les transports. Et oui, je n’ai pas connu la fête à Bali en tant que digitale nomade ! Quand j’ai démarré ma vie professionnelle, j’étais déjà mère. J’ai toujours pensé ma carrière avec un enfant.

Tu enchaines les missions courtes chez SFR puis dans une autre ESN avant de devenir freelance. Comment tu franchis le pas ?

Je n’y ai pas réfléchi pendant des heures… Je tournais en rond dans mon taf du moment, tandis qu’un ami se lançait à son compte. Ça avait l’air de fonctionner alors je me suis dit pourquoi pas moi ? Bingo ! A peine mon CV déposé sur une plateforme, j’étais contactée. La relation avec le client ProCapital m’a plu et je me suis lancée.

“Par ailleurs, j’élevais mon premier enfant et l’entreprise ne me permettait pas d’allier carrière et vie de jeune maman.”

C’est une des raisons qui m’a poussé à devenir freelance. Lors de ma première grossesse, j’étais en CDI en ESN, j’ai fait l’effort de revenir pendant mon congé maternité pour rencontrer le client et décrocher le contrat. A mon retour, ils m’ont fait faire acte de présence au bureau pendant 2 semaines. Je n’avais rien à faire, j’aurais été beaucoup mieux chez moi auprès de mon bébé ! En plus, je tirais mon lait. C’est hyper chiant cette période, tu ne te sens bien nul part. Tu bâcles ton taf pour vite rentrer à la maison et tu bâcles aussi avec ton enfant alors qu’il a besoin de toi. Pour ma deuxième grossesse, j’étais freelance. J’ai repris au bout de 6 mois après l’accouchement, quand j’étais prête et avec envie.

Comment as-tu choisi tes missions de freelancing ?

En vrai je ne réfléchissais pas beaucoup… Je fonctionnais au fit. Si la mission était dans mes cordes et que l’ambiance était bonne j’y allais. J’avais soif d’apprendre !

“La technique n’était pas un critère, j’ai changé 15 fois de stacks.”

Qu’est ce que le freelancing t’a apporté ?

Je pense que le freelancing m’a permis de m’épanouir. J’ai pu consacrer du temps à des conférences et à des projets perso, ce que je n’aurais jamais pu faire si j’avais été en poste à temps plein.  

Je bossais tous les week-end à développer ma propre librairie open source. J’ai rendu accessible une série de tests end-to-end que j’avais développés avec le langage de programmation Java. Au début j’ai eu du mal à me lancer, pas évident de rendre son travail public et critiquable par ses pairs ! Je suis passée outre en me disant que c’était une bonne façon d’apprendre et que ma librairie pourrait être utile à d’autres développeurs. La librairie est toujours active aujourd’hui, d’autres développeurs ont pris le relai.

“Gagner plus en travaillant moins chez le client m’a permis de libérer du temps pour expérimenter et apprendre.”

Un nouveau pas vers le collectif après les LAN parties 😜 Tu t’investies aussi dans les conférences, racontes !

J’ai découvert Paris JUG, une communauté du langage Java où j’ai fait mes premiers talk. C’est quand j’étais en mission chez SFR que j’ai franchi le pas. J’avais beaucoup de respect et d’admiration pour l’équipe avec laquelle je bossais. Ils m’ont amené à mon premier “JUG”. Quand les organisateurs ont su que j’étais jeune et freelance, ils ont trouvé ça assez innovant et m’ont poussé à faire un talk sur mon parcours.

“S’il n’y avait pas eu mes collègues pour m’accompagner, je n’y serais jamais allée… Moi la seule meuf dans une salle de 200 personnes.”

Ensuite j’ai continué les talks en partageant à Devoxx, Snowcamp, Mix-it, SoftShake sur mes différents sujets d’expérimentations.

Partager dans la communauté m’a toujours énormément apporté. J’ai besoin du groupe pour avoir des visions différentes et me challenger. Ça m’a aussi permis de faire des rencontres. Pour l’une d’elle ça a abouti sur la création de Duchess France, pour l’autre sur un nouveau job !

Est-ce que ça veut dire que tu es un animal sociable ?

Pas du tout ! Je suis timide et introvertie, ça me prend énormément d’énergie d’aller dans ces événements…

“Mais l’avantage, c’est que dans le milieu des développeurs c’est ok si tu n’es pas très à l’aise en public.”

C’est quoi Duchess ?

C’est une association destinée à valoriser et promouvoir les développeuses et les femmes avec des profils techniques, leur donner plus de visibilité… À Devoxx Belgique, j’ai rencontré les Duchess Néerlandaises avec une autre française, Ellène Dijoux. On s’est dit qu’on pouvait peut-être faire la même chose en France. On a créé Duchess France à 4 avec Laure Nemée et Claude Falguiere en 2010.

Aujourd’hui, la communauté compte 3000 membres sur meetup, plus de 70 évènements organisés, un slack qui permet à toutes d'échanger et de progresser.

Avant Duchess, tu as aussi créé deux associations sur la parentalité et une sur l’allaitement. Qu’est ce qui te drive à ce moment là ?

J’ai eu mon premier fils quand j'étais encore étudiante et il n’y avait pas d’autres jeunes parents autour de moi avec qui échanger. C'est donc tout naturellement que j'ai créé ces deux associations. J'habitais en ZEP à l'époque et il n'y avait pas beaucoup d'endroits pour se rencontrer. J'ai donc obtenu de la mairie une salle dans laquelle j'ai pu fédérer une équipe pour animer des ateliers et également me former.

Le nouveau job que tu décroches suite à une rencontre sur un salon, c’est chez Terracotta ?

Oui, je rencontre Alex Snaps sur Devoxx France. J’adore sa conférence et quand on discute dans les backstages, il me dit que son équipe est très intéressée par ce que je fais et qu’il aimerait bien me débaucher… Le sujet de mon talk était sur un framework de test Java, TestNG. J’ai été très surprise et impressionnée.

“C’était une boîte globale, full remote, je ne parlais pas bien anglais. Je me suis demandée si j’étais légitime et je me suis rapidement rendu compte que je n’avais rien à perdre.”

C’était vraiment une super boite ! Très bonne ambiance, mon manager Gautam était exceptionnel et j’ai beaucoup appris à son contact. C'est la première fois où j'ai pu avoir des 1 to 1 réguliers. Il était là pour me guider et me faire progresser. J'avais le sentiment d'être écoutée et d’avoir de l'impact. Quand j'avais un problème, il faisait en sorte de le régler le plus vite possible.

Malheureusement ça n’a pas duré très longtemps. Je suis arrivée au moment du rachat, Gautam est parti un peu après… un nouveau manager est arrivé avec lequel je n’étais pas alignée. Le produit ne me faisait plus vibrer, c’était un logiciel pour aider des entreprises qui aidaient à leur tour d’autres entreprises… L’impact était trop indirect.

En parallèle ma mère a eu un cancer, j’ai tout lâché pour passer du temps avec elle jusqu’à la fin de sa vie. Et puisque tout arrive en même temps, j’ai divorcé. Là je me suis posée, j’ai pris du temps pour moi et pour stabiliser ma famille.

C’est à ce moment que tu te lances dans l’entrepreneuriat, pourquoi ?

J’avais déjà lancé Aetys en side project, c’était un studio de jeu ludo-éducatif avec comme première application “J’apprends les couleurs avec Plume”. Au départ, je voulais apprendre à développer une application. Il y a eu plus d’un million de téléchargements mais pas suffisamment pour en dégager une source de revenu.

“L’entrepreneuriat, pour moi, c’est l’opportunité de se challenger.”

Une fois mes compétences validées sur la partie mobile, j’ai voulu me lancer sur la partie business. C’est comme ça que j’ai créé Sofizz, une application qui réunissait une communauté de femmes qui aiment sortir et partager des activités. Trouver des personnes pour aller prendre un verre, faire du fitness, sortir à un spectacle, etc. C’était intéressant d’apprendre mais pas suffisamment pour en faire mon métier. Ce qui me fait vibrer c’est de coder !

En regardant ton parcours, je me suis dit tiens, elle passe à un projet plus ambitieux avec Jolimoi ?

Je n’ai pas du tout réfléchi comme ça ! J’arrivais en fin de chômage et j’avais besoin d’un salaire ! J’ai posté un tweet du genre : “je ne sais pas quoi faire de ma vie” et Laure Nemée, une amie, me dit qu’elle a un plan pour moi. Je regarde la boîte, c’est de la beauté. Le secteur ne m’emballe pas mais je fais confiance à Laure.

“Et là, je découvre l’énergie et la vision d’Isabelle ! L’énergie d’abord, je l'ai vu lever des fonds enceinte de 9 mois, ce qui impose le respect… 🫶 Puis sa vision me parle.”

Jolimoi c’est une plateforme qui aide les professionnels ou passionnés de beauté / bien-être à développer des revenus complémentaires ou principaux. C’est un véritable outil d'empowerment des femmes. On compte aussi des hommes. Il n’y a pas besoin de formation, tout le monde peut s’inscrire. Même si c’était une petite boite, je trouve qu’elle a beaucoup d’impact.

La beauté ne t’emballe pas, pourquoi ?

Je n’ai pas d’attrait particulier pour la beauté, à l’époque je me voyais travailler dans la crypto ! Ce qui a été important pour moi, c’est l’équipe et l’impact social du projet. C’est une communauté variée, il y a des cadres sup qui se passionnent pour la beauté et veulent faire partie d’une communauté, des personnes au chômage qui tentent de développer leur business… On les aide à atteindre leur objectif et je trouve que ça a beaucoup de valeur.

Que ce soit dans la vie associative ou pour Sofizz et Jolimoi, tout ton parcours est balayé par le collectif. Comment tu l’expliques ?

“Même en lisant beaucoup ou en écoutant des confs, au final, je trouve qu’échanger avec quelqu'un sur une problématique commune est toujours beaucoup plus enrichissant.”

Pour moi, c'est vraiment la base. C'est ce qui m'a permis de trouver mon équilibre. Et ca c'est vrai dans tous les domaines, de l'éducation des enfants à la construction d'une roue à aube en passant par le rôle d'un CTO dans une boîte en hyper croissance, on progresse beaucoup plus vite quand on est challengé et on apprend énormément quand on challenge les autres. Tu te confrontes à des gens qui ont différents points de vue ou problèmes et qui vont te faire évoluer. Je n'ai aujourd´hui rien trouvé de plus efficace.

Alors Jolimoi c’est comment ?

Au début on était 4 : Isabelle, Aurélia, Jennifer et moi. Chacune experte de son domaine. La mission était très claire alors ça a dépoté ! Nous sommes aujourd’hui 45, quasi la moitié dans l’équipe tech et produit. La série A faite en avril 2022 nous donne les moyens de notre ambition, développer l’international.

S’il y a un truc dont je suis super fière, c’est la diversité qu’on a réussi à amener dans l’équipe. Que ce soit en termes d’âge, de genre, d’origine... Cette diversité amène une grande variété de points de vue et nous permet d’être plus créatifs.

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