Nitsan Seniak, la passion du code
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28.9.2022
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Nitsan Seniak

Nitsan Seniak, la passion du code

"Les valeurs que je défends aujourd’hui ne sont pas là par hasard, quand je construis mon équipe chez MEE6, je construis une équipe qui me correspond, qui correspond à mes valeurs, à ce que je cherche".

Les valeurs dont parle Nitsan sont : impact, esprit d’équipe, autonomie, ouverture d’esprit, passion. Une somme de valeurs résultant des expériences étonnantes du parcours de Nitsan, 58 ans, CTO de MEE6, une jeune startup sexy et pleine d’ambition qui développe le bot Discord le plus installé au monde…

Étonnantes, car celà fait maintenant plus de 6 mois que je côtoie Nitsan, et chaque fois que l’on discute j’ai de nouvelles surprises sur son parcours.

TRS-80 By Rama & Musée Bolo - Own work, CC BY-SA 2.0 fr, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=37010666

Nitsan, tu m’as dit être un geek dans l’âme, comment es-tu tombé dans l’informatique ?

J’ai commencé à faire du dév avec les premiers ordinateurs personnels, à l’époque il y avait 3 micro-ordinateurs sur le marché, j’ai économisé pendant des années pour pouvoir m’acheter un TRS-80. Un camarade de classe dont le père était chercheur en informatique m’avait fait visité le labo de son père et j’avais été totalement fasciné… Avant d’avoir cet ordinateur j’ai écrit des milliers de lignes de code sur papier dans l’espoir de les exécuter le jour où j’aurai mon ordinateur. J’avais 13 ans. Rien n’a marché.

J’ai vendu mon premier programme à 16 ans, c’était un outil pour faire de la musique sur ordinateur (basic étendu avec des options pour faire de la musique). Ce que je fais toujours mais avec des outils du marché.

Est-ce que tu peux me décrire le début de ton parcours ? Tes études et l’arrivée dans ton premier job ?

J’avais envie de faire de la recherche et de me confronter à des trucs hyper compliqués. Je suis entré en prépa, j’ai détesté, j’y suis resté 3 semaines. J’ai pris la direction de la fac Paris 6 où j’ai fait un DEA d’informatique.

J'étais un élève assez moyen au lycée, c’est en arrivant aux études d’informatique que j’ai explosé. J’ai ensuite enchaîné avec une thèse en informatique dans le Laboratoire d'informatique de l'École Polytechnique (laboratoire à cheval entre l’INRIA et l'École Polytechnique).

Le milieu de la recherche ne m’a pas plu, j’ai trouvé cela extrêmement individualiste, un milieu avec de gros égos où l’esprit d’équipe m’a beaucoup manqué. J’ai décidé de me tourner vers les acteurs industriels.
J’ai invité deux directeurs techniques de startups à mon jury de thèse “comment compiler les langages fonctionnels avec le plus d’efficacité possible ?*”, je me suis dit que ça m’aiderait à trouver du boulot. Les deux m’ont proposé un job, j’ai choisi de rejoindre Jérôme Chailloux co-fondateur d’ILOG pour faire le compilateur du langage fonctionnel de la société.

*un compilateur, c’est ce qui prend un langage de programmation et le traduit dans des instructions qui peuvent être directement comprises par les machines. Le langage fonctionnel est une certaine famille de langage de programmation.

C’était en 1992, je suis resté 17 ans dans la même boîte.

Est-ce que tu peux me décrire ILOG et ce que tu y faisais ? Qu’est ce qui a été si intéressant pour y rester 17 ans ?

ILOG était une boîte assez particulière, une des rares start-up de l’époque issue de la recherche car co-fondée par deux anciens de l’INRIA. On travaillait sur les prémices de l’intelligence artificielle. Elle avait une culture très tech et un mode de fonctionnement paternaliste. A l’époque, son CEO, Pierre Haren aimait dire que pour lui la priorité était : 1 ses salariés, 2 ses clients, 3 ses investisseurs.

"Quand je suis entré chez ILOG on était une trentaine, au moment du rachat par IBM en 2009, on était 800."

La croissance a été progressive mais ça bougeait suffisamment pour être intéressant. Elle a connu un franc succès, ça a été la deuxième startup française cotée au NASDAQ.

Il y avait quatre lignes de produits qui n’avaient rien à voir les unes avec les autres. Il y en avait une qui était un tout petit truc dont on ne savait pas trop quoi faire, JRules*. J’ai accepté de reprendre cette équipe mais uniquement avec l’assurance qu’on recruterait des profils product. En 1999, c’était une fonction qui existait aux US mais pas tellement en France. On a recruté 2 américaines. Ça a super bien marché et c’est devenu le produit phare d’ILOG, pour lequel IBM nous a racheté après.

*JRules, c’était un business rule management system, un peu du low code avant l’heure. Dans les applications où il y a beaucoup de règles métiers, par exemple dans la détection de fraude, les analystes écrivent les règles qu’ils donnent ensuite aux équipes de développement qui les retranscrivent en code. JRules permettait aux analystes d’écrire directement dans un langage proche du langagel naturel.

Quand tu t’es lancé dans la vie active, c’était la complexité technique qui t’attirait. Ton équipe est passée de 5 à 70 au moment du rachat, puis à 170 quand tu as quitté IBM. J’imagine que tu n’étais plus dans l’opérationnel technique mais surtout sur des challenges humains et organisationnels ? Qu’est ce qui t’a motivé ? Est-ce que ça a été facile ?

La complexité, c’est bien, mais si on fabrique des trucs qui ne se vendent pas et ne servent jamais à personne, c’est moins bien. En avançant dans ma vie professionnelle, j’ai eu besoin d’avoir plus d’impact, ne plus être seulement dans le concept au laboratoire mais développer des solutions qui aient un intérêt pour les personnes qui les utilisent.

Ça s’est fait progressivement, j’avais de moins en moins de temps pour la technique. Le pas difficile à franchir a été d’accepter de déléguer. C’était quand on est passé de 15 à 30 personnes dans l’équipe. Ça n’a pas été facile du tout, je vivais mal le fait de ne pas faire.

"J’ai abordé le management comme un geek. Je me suis axé sur le process délaissant l’humain et ça m’a pété à la gueule."

L’équipe était hyper démotivée, elle s’était prénommée elle-même “les grouillots de base”.

Ça a été très dur, j’ai découvert que faire du management tech c’était consacrer du temps aux individus, prendre le temps d’écouter et d’expliquer. Je pense que c’est là où les CTO ont le plus besoin d’aide, avec un background technique c’est facile de sous-estimer la dimension humaine du management. Or sans motivation dans une équipe, on n’obtient rien. Je me suis fait accompagner par une consultante externe à ce moment là.

Un rachat, c’est souvent un gros changement de culture pour une boite, les équipes historiques restent généralement peu longtemps. Comment ça s’est passé avec IBM ? Qu’est ce qui t’a motivé à rester trois ans ?

J’avais une clause de rétention de 3 ans et je suis d’un naturel persévérant ! Je suis resté jusqu’au bout pour toucher mon package, intégrer l’équipe dans de bonnes conditions et j'étais assez curieux de comprendre comment une boîte de 400 000 personnes pouvait réussir à vendre du software et hardware depuis la côte est des Etats-Unis jusqu’au Kazakhstan.

En revanche, je te confirme, il y a eu un gros choc culturel. L’entreprise avait à l’époque une culture managériale détestable, on nous forçait à utiliser la méthode de Stack Ranking sur nos équipes. C’était une règle inventée par General Electrics au moment où ils voulaient dégraisser leurs équipes. D’après cette règle, 20% des équipes était très productives, 70% travaillaient correctement, les 10% restant étaient improductifs et méritaient d’être virés. Chez IBM on ne devait pas virer ces 10%, juste leur coller un ranking "low performer", c’était suffisant pour créer du stress et un sentiment d'injustice qui était profondément démotivant pour les managers comme les managés.

Ça veut dire que tu as collé une étiquette "low performer" à des personnes de ton équipe alors que tu trouvais ça profondément injuste ?

Tous les managers chez IBM utilisaient des astuces pour contourner la règle comme de faire passer les départs volontaires dans ce quota. Sinon, je faisais de la résistance, ce qui mettait mon supérieur dans tous ses états.

Post IBM, tu montes ta boîte avec deux anciens collègues. Qu’est-ce qui te motive à ce moment-là ?

"Créer sa boîte technologique, c’est l’ultime aventure pour un geek."

D’autres gravissent des montagnes pour se mettre à l’épreuve... Et puis ça m'offrait la possibilité d’avoir de l’impact. 

On a levé 600k€ auprès de proches, ça a duré deux ans et demi, puis foiré. Ça s'appelait ccGénie, c’était un espace collaboratif intégré aux emails. Ça collectait automatiquement le contenu des emails et tu pouvais ranger et partager ce contenu avec des collaborateurs. J'avais 48 ans, je suis un late bloomer :-) 

Ça a été une grosse leçon, il ne suffit pas d’avoir une idée sympa. Si tu n’as pas le marketing, le sens business pour trouver le go to market, ça ne marche pas. Le côté “ami”, je me suis aussi juré de ne plus jamais faire ça.

Comment tu rebondis après ça ? Je vois que tu as à nouveau une expérience de 2 ans et demi en tant que CTO co-fondateur.

Je suis contacté par un gars, franco-americano-israelien qui cherchait un cto pour monter sa boîte, je repars dans l’aventure entrepreneurial mais ça tourne rapidement au fiasco. 

Le gars avait l’air super convaincant et honnête mais je me suis retrouvé rapidement sans salaire et avec les huissiers à ma porte.  j’ai démissionné et payé les pots cassés… 

Ça a été la période la plus angoissante de ma vie. On est toujours en procès aujourd’hui.

Tu aurais pu ajouter intégrité à tes valeurs. On peut dire que ça fait deux échecs professionnels successifs, Dans quel état d’esprit es-tu ? Qu’est ce qui te motive comme nouvelle expérience professionnelle après ça ?

Jamais deux sans trois, je fais un passage éclair chez Margo Bank où ça ne fit pas avec l’équipe. Ces expériences étaient objectivement des échecs. Niveau moral je ne suis pas au top et, à ce moment là, ça devient hyper important pour moi de réussir ma prochaine expérience professionnelle. Je ne veux pas être le gars qui a connu un succès un jour puis plus rien… Néanmoins, j'ai énormément appris, j’ai repoussé mes limites comme jamais. 

"Je rencontre les fondateurs d’iziwork, ils sont super ambitieux et super forts en business. Je cherche probablement ce que je n’ai pas trouvé dans mes expériences entrepreneuriales."

J’ai 54 ans, je deviens le premier développeur de la startup qui disrupte le marché de l’interim. 

Ça marche bien, ça ne fit pas toujours avec les fondateurs mais comme je te le disais plus tôt, je suis résilient, c’est important pour moi de réussir à ce moment-là.  

Et ça paye, je suis fier de ce que j’ai réussi à faire avec l’équipe. Elle porte mes valeurs. La crise “balance ta startup” dégrade l’image de la société mais ne nous atteint pas. Cette reconnaissance de mes équipes a été très importante. Au bout de quatre ans, après avoir fait scaler la tech et l’équipe à 70 personnes, je pars serein sur un nouveau projet chez MEE6.

MEE6, le bot Discord le plus installé au monde… Aujourd’hui tu as 58 ans et tu deviens CTO d’une solution déployée sur Discord, la plateforme utilisée par la génération Z ! L’âge on en parle ? Nitsan est-ce que tu refuses de vieillir ?

L’âge est un concept assez abstrait pour moi, je ne me sens pas vieux et n’envisage pas du tout d’arrêter de travailler ! Je ne pense pas du tout à la retraite. 

J’ai toujours fait plus jeune que mon âge (je confirme) ce qui m’a certainement préservé du jeunisme présent dans le milieu des startups. Peut-être que mon CV ne serait pas passé avec mon âge indiqué… 

J’ai tout de même subi quelques à priori dans ma carrière, des personnes qui avaient des à priori sur les vieux mais je ne me sentais pas du tout concerné.

MEE6 alors c’est comment ? La consécration ?

C’est trop tôt pour le dire, mais c’est une super belle boîte ! 

"Encore une fois, je crois que je suis venu chercher ce qui m’avait manqué plus tôt. Ça fit super bien avec les fondateurs Anis et Brendan, on partage les mêmes valeurs." 

Je les trouve smart, ambitieux et incroyablement humble, ce qui ne va pas toujours de pair avec le succès. Je suis admiratif du fait qu’ils aient entièrement bootstrapé MEE6. N’ayant pas d’investisseurs, ils sont en total contrôle de leur stratégie, ça ne les a pas freinés pour se développer. Aujourd’hui nous sommes 25 et l’ambition est de doubler les effectifs d’ici la fin d’année, chapeau ! 

J’ai aussi retrouvé plus de complexité dans le produit, ça me rappelle un peu les débuts chez ILOG. Servir 18 millions de communautés sur Discord représente un nombre d’événements pharamineux. La tech est au cœur du réacteur, il n’y a pas d’équipes sales ni marketing, seulement une équipe de geeks passionnés.

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