Emmanuel Costa : Robin des Bois de la donnée bancaire
6 min
6 min avec...
6.7.2023
6 min
Marie Dudicourt

Emmanuel Costa : Robin des Bois de la donnée bancaire

“Son leitmotiv professionnel, redonner à l’utilisateur l’accès à sa donnée bancaire et démocratiser le virement bancaire Open Banking.”

Emmanuel Costa est CTO-cofondateur de Bridge et Bankin’. Il revient sur son parcours et la formidable aventure entrepreneuriale de quatre irréductibles copains, partis en croisade pour l’ouverture du marché bancaire à la sortie de leur école en 2011. C’est quoi l’Open Banking ? Quel est son potentiel ? Qu’est-ce que cela implique d’être précurseur sur son marché ?

Photo de Ben Tovee sur Unsplash

Peux-tu me décrire le début de ton parcours professionnel et comment tu t’es lancé dans l’entrepreneuriat avec tes coéquipiers ?

J’ai d’abord fait une école d’ingénieur et travaillé à l’étranger, notamment aux États-Unis. Là-bas, tous les employés de la société dans laquelle je travaillais avaient une idée de boite à lancer ! A mon retour en France, j’ai décidé de compléter ma formation avec une dimension business en intégrant l’ESSEC. En sortant, la voie royale était de se diriger vers les gros cabinets de conseils mais l’idée de créer une entreprise en partant de zéro était un projet bien plus exaltant.

Nous étions quatres copains étudiants, trois en ingénierie et un en commerce, avec beaucoup de mal à gérer notre budget… À l’époque, c’était (un peu) compliqué, il fallait se connecter sur son compte en ligne pour voir le solde de son compte et arrêter les dépenses à temps pour ne pas être en découvert ! C’est comme ça que nous est venue l’idée de créer Bankin', une application mobile qui permettait de voir en un clin d'œil sa situation bancaire et envoyait des pushs notifications pour éviter les agios.

En quoi était-ce le bon momentum pour Bankin’ ?

En 2009, la Directive Européenne sur les Systèmes de Paiement (DSP1) était transposée au marché français. Cette directive mettait fin au monopole des banques en les contraignant à pratiquer l’Open Banking. Elles n’étaient plus les seuls intermédiaires entre le commerçant et son client mais devaient s’adapter et partager leurs données avec des sociétés financières agréées. Ces nouveaux acteurs ont pu proposer de nouveaux services aux utilisateurs, comme la visualisation de leurs données ou l’émergence de nouveaux moyens de paiements. C’est à ce moment que le consommateur a commencé à multiplier les banques et les services.

En parallèle, le smartphone était en pleine ascension ! Souvenez-vous de l’année 2011… Nokia était encore leader du marché, Blackberry déjà en danger 😅 et Apple se portait à la troisième place mondiale avec la sortie de l’iPhone 4.

Nous avons créé Bankin’ cette année-là. Initialement, c’était une application de suivi des comptes bancaires à laquelle on a ajouté des fonctionnalités intelligentes : la catégorisation des dépenses, le coaching financier... Par exemple, l’application vous propose de faire des économies via des solutions de cash-back ou de renégocier votre prêt immobilier.

Photo de Guillaume Périgois sur Unsplash

Robin des Bois est un bandit, es-tu un bandit Manu ?

Alors effectivement au départ, ce qu’on a fait n’était pas limpide d’un point de vue légal, le cadre juridique a eu, comme toujours, un peu de retard… Nous étions disons précurseur en RGPD !

L’utilisateur renseignait ses identifiants bancaires sur notre application puis on scrappait ses données sur le site web de la banque. A cette époque, il n’y avait rien qui l’interdisait, mais rien qui ne l’autorisait non plus…

“On est parti du principe que la donnée bancaire appartenait à l’utilisateur, pas à la banque”

Les banques ont longtemps essayé de nous bloquer. On implémentait des plans de déploiement à un rythme mensuel puis au remontait au régulateur (l’ACPR) ce qui fonctionnait ou pas. Il a fallu attendre une pression européenne et française pour sortir la deuxième version de la directive, la DSP2, qui a véritablement accéléré l’innovation des systèmes de paiement européens. Joan Burkovic, notre CEO à l’époque, a beaucoup œuvré à Bruxelles. A partir de ce moment-là, on a pu lever des fonds et accélérer.

Pourquoi être sorti de Bankin’ pour créer Bridge si vous étiez en pleine accélération ?

“Bridge était un side business, le pendant B2B de Bankin’”

Les deux activités se développaient rapidement et on s’est vite rendu compte que les exigences, l’organisation et le rythme du B2B versus du B2C nécessitaient d’être traités séparément. Nous avions identifié un potentiel de croissance très important dans le paiement B2B, qui nécessitait d’y consacrer la majorité de notre énergie.

Nous avons eu le soutien de nos investisseurs. Truffle et BPCE souhaitaient que leur investissement soit uniquement focalisé sur le B2B. Tandis que le groupe Casino était intéressé par la reprise de l’activité B2C dans le cadre de sa diversification.

Bankin’ est devenu client de Bridge, Bridge a gardé l’agrément permettant de se connecter aux banques et d’opérer ses activités.

Photo de CardMapr.nl sur Unsplash

Quel est ce potentiel de croissance très important qui vous a poussé à faire ce changement radical de stratégie ?!

“Avec la DSP3, le virement va devenir un mode de paiement du quotidien. C’est l’opportunité de créer un mode de paiement souverain et de mettre fin au monopole de Visa et Mastercard.”

Demain, sur un site e-commerce, on pourra régler son panier par carte bancaire ou par Buy Now Pay Later, mais aussi par virement Open Banking. Le virement pourrait ainsi concerner 25% des transactions du grand public d’ici 2024. Cette réponse souveraine est essentielle pour les Etats et particulièrement parlante dans le contexte d’instabilité politique actuel. On se rappelle de la prise de position de Visa et Mastercard quant à l’invasion de l’Ukraine en 2022 qui a coupé les ressortissants russes de leur solution de paiement.

Peux-tu me détailler l’activité de Bridge et comment vous vous inscrivez dans la compétition ?

Bridge accompagne les entreprises en fournissant un accès à la donnée bancaire pour des besoins d’octrois de crédits, de profiling client, de vérification d’identité ou de catégorisation de transactions. A cela on a ajouté des solutions de paiements bancaires omnicanales par virement open banking sans carte, sans IBAN qui apportent de nombreux avantages par rapport aux moyens de paiements traditionnels.

Aujourd’hui, Bridge c’est environ 1 milliard d’euros de paiement initié par virement immédiat, 8 millions de comptes bancaires connectés chaque jour et plus de 250 Clients (Cdiscounts, Cegid, BPCE, Alma, Payfit, Qonto…).

Bridge est leader en France en ce qui concerne la visualisation de données bancaires et le challenger sur la partie paiement.

Quels sont les apprentissages que tu partagerais à un CTO sur un marché en pleine émergence et réglementé comme celui de l’Open Banking ?

Avec le recul, je réalise qu’on a voulu être trop bon élève en respectant les ordonnances et deadlines fixés par le régulateur, nos concurrents n’ont pas forcément fait de même, ce qui leur a permis d’aller plus vite…

D’un point de vue techno backend, on a choisi d’utiliser le langage Java et l’environnement d'exécution Node.js. Java est un langage très performant qui nous permet de gérer de gros volumes de données et un passage à l’échelle. Son écosystème est mature et le langage réputé pour sa sécurité, élément crucial pour nous dans le secteur bancaire. Le combiner à Node.js, qui gère les événements de manière asynchrone, nous a permis d'être rapide dans l’exécution.

Enfin, il faut être curieux, avoir envie d’apprendre et savoir se remettre en question !

Lancé en septembre 2022, eigerX est un média pragmatique qui met Tech et Business sur la même longueur d'onde 📻 !

Ingénieurs, entrepreneurs et investisseurs se croisent pour partager leurs opinions et retours d'expériences.

eigerX accompagne les équipes tech en hyper-croissance grâce à un collectif de CTO issus de la plus belle scène Tech française.